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ELOGE DE L’OMBRE : Comment protéger ses données personnelles dans la smart city idéale ?

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L’OMBRE COMME LA MORT EST AU CŒUR DE LA VIE, l’homme ne sait rien , ne possède rien et n’est que de passage …sauf ses traces numériques, plus personnelles que ses empreintes digitales et désormais indélébiles…

Que restera t-il de notre part d’ombre et partant du droit au secret et à la protection de nos données personnelles dans la smart cité idéale. Rien n’arrêtera le tsunami numérique dans les smart cités connectées, rien ….sauf la confiance des usagers.

Barcelone, Londres, Dubaï, Hambourg, Boston, Toronto : voici quelques « smart cities » en devenir. En Inde, 100 villes deviendront « intelligentes » d’ici 2022 1. Singapour projette même de devenir la première « smart nation » 2.

La smart city se veut une ville intelligente, créative, économe et harmonieuse qui prône l’usage de solutions basées sur les technologies de l’information au service des citadins 3, La promesse et prouesse technologique de villes plus propres, plus sûres, plus écologiques. Éthiquement sacralisées, les smart cities ultra-connectées interpellent pourtant sur les enjeux de cybersécurité et sur la nécessaire protection des libertés fondamentales au sein de l’espace public.

Quelle place pour la protection des données personnelles des citadins devenus « transparents » sous l’emprise des objets et bâtiments connectés ? Quelles responsabilités pour les acteurs privés et publics ?

I / Quelle Place pour l’usager de la SMART CITY dotée de milliers de mouchards connectés ?

Dans sa quête vers une intelligence utile, la ville va récolter une quantité torrentielle de données personnelles sur les citadins : géolocalisation, navigation, moyens de transports, données sensibles relatives à la santé des individus.

  • À Londres, dans le cadre du projet pilote « Renew London », avaient été installés des capteurs dans les poubelles publiques qui détectaient les signaux Wi-Fi émis par les téléphones portables des passants, pour leur proposer des publicités ciblées.
  • À Singapour, des voitures munies de détecteurs rapportent des informations relatives à la vitesse, la localisation et le respect du code routier des conducteurs. Une infraction commise entrainerait une amende automatique.
  • À Barcelone, des capteurs peuvent même détecter le nombre de selfies pris à un endroit. De quoi faire saliver les géants du Big data.

Les applications de tels systèmes sont potentiellement effrayantes, les mouchards connectés à nos traces. Comment assurer un niveau satisfaisant de protection des données personnelles ?

On peut distinguer deux types de projets smart city : ceux qui sont initiés ou mandatés par des autorités publiques et ceux qui découlent d’initiatives indépendantes privées.

L’application Waze informe ainsi les automobilistes des conditions de trafic dans les villes à partir de données personnelles récoltées par géolocalisation des téléphones portables. Cette application rentre dans le cadre d’un projet de smart city, sans être élaborée par la municipalité. Des acteurs privés s’emparent donc de l’espace public.

A l’opposé, on trouve l’initiative « officielle » de la ville, qui regroupe tous les projets individuels qui rendent la ville « intelligente » sous une même direction. En France et en Europe, l’agence européenne Dédale est consacrée à l’innovation socio-urbaine 4. Il est également courant que ces agences aient recours à des développeurs tiers pour créer des solutions « smart » aux difficultés urbaines. L’agence et potentiellement plusieurs sous-traitants se partagent alors le paysage urbain

À Paris, la Cité Universitaire sert de projet pilote à la smart city sous la direction de l’agence Dédale. À Amsterdam, existe un projet collectif approuvé par la mairie auquel chacun peut contribuer 5. À Lyon, la ville participe à GreenLys, un projet qui assure une gestion « smart » de l’électricité 6.

La diversité des acteurs à l’initiative des projets de smart city soulève des problématiques liées à la délimitation des responsabilités relatives à la protection des données personnelles et à la conformité des traitements au règlement européen. En l’absence d’organe central ou de ministère de la smart city, ce sont les responsables de traitement et leurs sous-traitants qui auront la responsabilité d’assurer la conformité des traitements mis en œuvre.

Si les citoyens sont de plus en plus ouverts au partage des données, ils sont aussi de plus en plus conscients que la protection de ces données est essentielle à la protection de leur vie privée et à leur sécurité. Le renforcement des obligations de transparence (article 12 du RGPD) et d’information (article 13) à la charge du responsable de traitement et des sous-traitants répond aux besoins de confiance numérique du citoyen.

II / Quelle responsabilité des acteurs publics et privés ?

Les collectivités traitent déjà de nombreuses données personnelles, comme notamment leurs fichiers de ressources humaines, ceux de sécurisation de leurs locaux (contrôle d’accès par badge, vidéosurveillance) ou ceux permettant la gestion de l’état civil et de la liste électorale (exploitation de systèmes d’information géographique, développement de téléservices, etc.).

Les collectivités traitent également des données personnelles à risque ou à forte sensibilité (tels que les fichiers d’aide sociale ou de police municipale), elles doivent alors adopter des mesures techniques et organisationnelles leur permettant de s’assurer et de démontrer à tout instant qu’elles offrent un niveau optimal de protection aux données traitées et ainsi répondre aux besoins de confiance des administrés.

Selon le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) ce sont le responsable de traitement et les sous-traitants qui sont tenus responsables de la conformité du traitement des données personnelles. Dans le cas de la smart city cela sera, selon les cas, une entité publique ou une entreprise privée, voire même les deux en cas de responsabilité conjointe.

Les villes, elles-mêmes, ainsi que leurs sous-traitants vont devoir se conformer au RGPD. Dans les cas où la récolte des informations fait suite à une initiative déclenchée par la municipalité, cette dernière est alors responsable de traitement.

Selon le principe « d’accountability » les entreprises ou les organismes publics qui récoltent les données dans le cadre de la smart city auront l’obligation d’instaurer des mécanismes et des procédures internes pour démontrer leur respect des règles du RGPD. Ceux-ci devront aussi désigner un DPO selon les termes de l’article 37 du nouveau règlement. Les nouvelles applications doivent aussi respecter les principes Privacy by design et Privacy by default 

Le RGPD est un instrument puissant d’harmonisation et s’avère efficace pour répondre aux problématiques découlant de la récolte massive de données par la smart city car il s’applique aux acteurs publics et privés et jouit d’une emprise extraterritoriale dès lors que l’information en question concerne une personne qui se trouve sur le territoire européen 8.

Pour répondre aux besoins financiers des collectivités territoriales en découlant, le Sénat avait proposé de mettre en place une nouvelle dotation au profit des EPCI et communes, afin de compenser les dépenses nécessaires à la mise en conformité à la réglementation européenne, l’assemblée nationale s’y est opposée.

Le Conseil constitutionnel débat actuellement de la modification de la loi Informatique et Libertés (CNIL 3) afin de la mettre à jour au regard du RGPD.

III / L’entité publique concurrencée sur la gestion de ses espaces publics

Pour devenir intelligentes, les villes actuelles devront développer de nouveaux services performants et partant plus connectés que jamais dans tous les domaines tout en relevant le défi de la garantie d’un niveau satisfaisant de protection et sécurité des données personnelles traitées et/ou collectées.

  • Transport et mobilité intelligente : comment intégrer différents modes de transport – rail, automobile, cycle et marche à pied – en un seul système à la fois efficace, facilement accessible, abordable, sûr et écologique ? Cette intégration promet une empreinte environnementale réduite, et une optimisation de l’utilisation de l’espace urbain via la technologie et l’ultra connexion.
  • Environnement durable : les villes devront agir dans trois domaines principaux : l’eau, les déchets et l’énergie.
  • Urbanisation responsable et habitat intelligent : comment concilier le respect d’une intimité indispensable, avec la nécessité de faciliter et d’améliorer la gestion de l’énergie, voire de réduire les consommations, avec le souci d’un ensoleillement suffisant, tout en permettant le « vivre-ensemble ».
  • Services publics dématérialisés : parking, stationnement, sécurité…

Il s’agit de faire de la protection des données personnelles une expérience de citoyenneté et de confiance numérique. La ville intelligente est porteuse de risques relatifs à l’exploitation privée de l’espace public. Les notions même de service public et d’intérêt général se trouvent alors bouleversées. Il arrive que certaines applications de la smart city entrent en conflit avec les politiques publiques, comme les détecteurs de radars ou les applications signalant les emplacements de barrages policiers. Il est aussi pertinent de se questionner sur la fiabilité des solutions et recommandations proposées par l’organisme privé, en l’absence de contrôle public.

Alors que l’autorité publique se retrouve parfois privée de son emprise sur l’espace public, c’est grâce aux instruments normatifs qu’elle peut s’assurer que les entreprises agissant dans le cadre de la ville intelligente respecteront la vie privée des citoyens.

Pour ce faire, voici différents conseils à appliquer dans votre approche de la Smart City :

  • Sachez toujours pourquoi vous collectez une donnée personnelle, il n’est pas possible de collecter des données personnelles sans but prédéfini ;
  • Prenez en compte, dès le stade du projet, les principes Privacy by Design et Privacy by Default;
  • Sensibilisez chaque personne étant amenée à manipuler les données personnelles collectées via la smart city à la sécurité, à la confidentialité et aux normes en vigueur ;
  • Pensez à l’information obligatoire devant être fournie aux personnes concernées par les traitements de la smart city (administrés, agents, prestataires, fournisseurs, etc.) ;
  • Ne donnez des accès aux données de la smart city qu’aux personnes habilitées, seules les données non personnelles ou entièrement anonymisées peuvent être partagées au plus grand nombre (Open Data / Big Data) ;
  • Incluez les problématiques liées à la protection des données personnelles dans chacun de vos marchés publics ;
  • Assurez-vous que chacun de vos sous-traitants traitant des données personnelles respectent les obligations de la loi Informatique et Libertés et du RGPD, au travers notamment d’un contrat sécurisé et conforme à l’article 28 (3) du règlement9.

Le monde sera-t-il meilleur avec les smarts cités , on peut l’espérer et le croire .
Mais Le Territoire ne sera « intelligent », écologique,  et sûr que si l’humain est replacé au centre de ses enjeux.
Il s’agit de faire de la protection des données personnelles une expérience de citoyenneté et de confiance numérique et faire participer ses acteurs à la vie de la cité.
L’usager citoyen ne peut se réduire à un consommateur asservi, connecté, capté, transparent, au sein de la smart cité idéale, il doit en être un acteur réfléchi, éclairé et avisé.
Il s’agit d’éduquer et de permettre aux plus jeunes au sein de la smart cité, d’accéder à une véritable citoyenneté numérique pour être en mesure d’avoir un usage raisonné des outils connectés.
J’ai fait un rêve : que l’éloge de l’ombre chère à la poésie de Tanizaki, d’Assam Achille et tant d’autres,  puisse avoir le dernier mot dans nos smarts cités idéales.
La vallée où je creuse et je dors,
L’aube déchirée que je porte,
Ce cercle de songe est ton oeuvre
L’ombre c’est la partie non éclairée d’une existence et une leçon de modestie …

[1] https://futurism.com/privacy-smart-cities/
[2] https://www.smartnation.sg
[3] https://www.opendatasoft.fr/2016/04/29/cest-quoi-la-smart-city-une-introduction-a-la-ville-intelligente/
[4] http://www.smartcity.fr/europe/, http://www.dedale.info.
[5] https://amsterdamsmartcity.com
[6] Smart city et protection des données : le rôle clé du DPO
https://www.haas-avocats.com/data/smart-city-protection-des-donnees-role-cle-dpo/
[7] Article 25, RGPD
[8] Article 3, RGPD
[9] Vous trouverez des modèles de clauses à inclure dans vos contrats de sous-traitance sur le site de la CNIL : https://www.cnil.fr/fr/sous-traitance-exemple-de-clauses